Bulletin de l’Association pour Perpétuer
le Souvenir des Internées des Camps de
Brens et de Rieucros

Année 2004 - bulletin n° 3


Mme Angelita BETTINI, Présidente
M. Rémi DEMONSANT, Secrétaire

 


La préparation d’un colloque exigeant beaucoup de travail , nous nous sommes repliés sur une manifestation plus modeste, mais qui servira de préparation à un prochain colloque en l’orientant sur la problématique de la mémoire.

En vue de la journée du 19 juin, ce bulletin innove en vous proposant trois témoignages:

- Lucie L’Eplattenier-Gonthiez est une ancienne infirmière de la Cimade (organisation caritative protestante) qui a effectué, durant l’été 1943, un remplacement au camp de Brens. Au travers de son exposé, nous connaissons mieux l’action de la Cimade, mais aussi son regard personnel sur les Internées, les relations qu’elle entretenait avec celles-ci et la vie au camp en général.

- Georges Treilhou, originaire de la commune du Garric, nous relate le destin de deux baraques du camp de Brens.

- Antoinette Guilhabert, ancienne boulangère de Gaillac, témoigne plus particulièrement sur la période où le camp de Brens est officiellement “centre d’hébergement pour réfugiés juifs étrangers (de novembre 1940 à mars 1941 - Le camp sans barbelés héberge 1600 personnes, dont 400 enfants. Il ne devient camp de concentration qu’à partir du 14 février 1942).

Ces trois témoignages constituent une autre approche. Ils ont aussi leur importance, leur intérêt, où chacun a exprimé une part de lui-même. A Guilhabert nous invite “à raconter les évènements même minimes du passé”. L’histoire avance aussi par la confrontation des témoignages toujours précieux.

L’Association remercie vivement Lucie L’Eplattenier-Gonthiez, Georges Treilhou et Antoinette Guilhabert et ne peut qu’encourager toute personne à vouloir enrichir notre connaissance du passé.


PS: Nous rappelons à ceux qui n’ont pas encore renouvelé leur adhésion ou qui voudraient nous rejoindre, que le montant minimum est de 10 € (adhésion individuelle) ou 15 € (adhésion couple ou famille).

 

 

Témoignage de ... Antoinette Guilhabert

 

J’avais 20 ans!!!

J’étais trop jeune. Mariée à 18 ans, une fille à 19 ans, une deuxième à 21 ans, mon mari mobilisé, la famille ... mon travail, mais j’ai des souvenirs et je puis affirmer que mes familles ont agi dans l’ombre....
Au début, lorsque les femmes et les enfants juifs sont arrivés, ils avaient de l’argent, des bijoux, des cartes et des tickets de rationnement. Elles sortaient du camp, traversaient le Tarn et venaient à Gaillac faire quelques achats. Mais rapidement tout cela a disparu.
Je revois dans mon magasin ces femmes changer en apparence physique, elles sortaient encore du Camp et venaient en ville acheter leur pain et peut-être d’autres nourritures.
Mais, les derniers temps elles se mettaient une corde sous leurs robes pour attacher un bas. Ce bas servait à introduire une flute de pain..... car ces achats étaient interdits!! et puis, plus de sorties dans Gaillac et puis :
LE DEPART ... pour beaucoup sans retour....

Il y a tous les jours de moins en moins de Gaillacois qui ont vécu ces moments si terribles. Il faudrait que ceux qui sont encore là puissent chacun raconter ce qu’ils savent et ce qu’ils ont au fond de leurs mémoires.

Je me permets d’écrire cette remarque de Marc Bloch:
“l’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé”

Il faut se souvenir, se rappeler, raconter les évènements même minimes du passé ...

MAIS IL FAUT AUSSI : ETRE ECOUTE et COMPRIS ...

 

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Témoignage de . . . Georges Treilhou

 

Deux baraques du camp de Brens au Garric

Dans la commune du Garric, il y avait deux églises très éloignées du village et aucune salle pour les jeunes.
Dans les années 1950, sous l’impulsion d’un jeune prêtre, les jeunes de la commune décident d’acheter une baraque en bois au camp de Brens. Il a fallu la démonter et la charger sur un camion fourni par un bénévole.
Toutes les bonnes volontés du village ont travaillé au remontage. Une moitié a été aménagée en chapelle, l’autre en salle de spectacle. L’aménagement intérieur et la décoration ont été réalisés par les jeunes.
Pendant tout un hiver, nous allions passer nos soirées à réaliser ce travail dans la bonne humeur. C’était le bon temps.
Pendant des années, nous y avons fait du théâtre amateur et toutes les semaines il y avait un film en 16 mm.
Par la suite le forgeron, le charron et le menuisier qui nous avaient beaucoup aidé au montage ont décidé d’en acheter deux autres pour réaliser leur atelier. Ils existent encore. mais par contre je pense que la chapelle et la salle ont disparu.

NB: L’Association va s’informer plus amplement auprès des habitants du Garric.

 

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Témoignage de . . . Lucie L'Eplattenier-Gonthiez

 

La CIMADE fut la première organisation caritative à installer une "mission résidente" dans un camp d'internement, en novembre 1940, à Gurs. Elle fut ensuite présente à Rieucros et à Brens, comme à Rivesaltes, Récébédou, ... Les "équipiers" permanents ayant grand besoin de prendre du repos, on a demandé à des étudiants et étudiantes de venir les remplacer pendant les vacances d'été. C'est ainsi que j'ai fait une première expérience au camp de Rivesaltes en août - septembre 1941, puis je me suis proposée pour un remplacement à Brens, du 17 juillet au 1° septembre 1943.

En comparaison avec l'immensité du camp de Rivesaltes, celui de Brens m'a paru tout petit. Les baraques étaient en dur, et il y avait trois cyprès au milieu du camp ! La diversité de ce petit monde d'internées m'a tout de site frappée. Les femmes étaient regroupées dans les diverses baraques par catégories bien définies : prostituées, droit commun, marché noir, politiques étrangères, politiques françaises. Il y avait une baraque pour les mères avec leurs enfants, presque toutes espagnoles. Il était surprenant de voir des clivages sociaux se reformer : celles qui avaient de l'argent prenant comme domestiques celles qui n'en avaient pas ! Mais j'ai admiré le courage de la plupart de ces femmes qui ne voulaient pas se laisser abattre, et notamment des mères qui tenaient bon, pour leurs enfants. Beaucoup cherchaient à se tenir au courant des événements, à se cultiver, en vue de leur libération.

L'ambiance du camp était relativement calme, à la différence de l'été précédent, troublé profondément par la déportation des femmes juives. Il faisait une chaleur abrutissante : 42 degrés à l'intérieur des baraques ! EN plus du travail spécifique de la CIMADE, j'ai dû assurer celui qui, à Rivesaltes, l'était par une infirmière du Secours suisse : distribution de soupe, de goûters, provenant des envois des Quakers, du comité oecuménique, du Secours suisse. Hélas, presque tous les colis arrivaient délestés. Un jour, sur 3 paquets venant du Portugal, il en manquait un : à l'époque, 24 boîtes de sardines, c'était tentant ! Grâce à un colis Quaker, j'ai pû donner tous les jours du tapioca au lait à huit enfants nécessiteux, et une fois par semaine à tous. Mais ces distributions suscitaient bien des jalousies.

A leur demande, j'ai pu emmener les enfants en promenade, avec l'accord du commissaire. J'aurais aimé leur faire faire des activités adaptées au scoutisme, mais c'était bien difficile, car ces enfants étaient très volontaires et indépendants, et il y avait des petits de 3 ans qui traînaient en pleurnichant. Il aurait fallu être deux. Cependant, un jour, j'ai pu emmener 9 grands se baigner dans le Tarn, avec une surveillante. Nous avons passé plusieurs heures dans l'eau, à leur grande joie ! Mais je ne pouvais pas recommencer tous les jours comme ils le réclamaient : cela aurait été au détriment du travail auprès des femmes, que je jugeais malgré tout le plus important. Nous avons eu une proposition de faire partir ces enfants dans une maison de vacances de la CIMADE, mais les mères espagnoles n'ont absolument pas voulu se séparer de leurs enfants, meêm pour cette colonie privée sous la garantie de la CIMADE.

J'avais pris l'habitude d'aller à la douche avec les internées. La première fois, quel événement, "Radio Brens" l'annonçait dans tout le camp cinq minutes après ! Cela montre à quel point, dans leur situation, ces femmes sont sensibles à de petits détails, au fait que l'on partage le plus possible leur vie, qu'on vienne les voir dans leurs baraques. J'avoue que j'ai férquenté plus souvent les deux baraques des "politiques", étrangères ou françaises. Elles étaient très attachantes, pleines d'initiatives et c'est souvent elles qui animaient la vie culturelle et artistique du camp, si bien évoquée dans le livre de Mechtild Gilzmer ... Il y avait divers cours, des soirées de lecture, des causeries, des concerts, de la danse, une chorale. A leur demande, j'ai donné une causerie sur Marie Curie.

Comme équipière CIMADE, j'étais aussi responsable de la communauté protestante. Une trentaine de femmes participait au culte du dimanche matin, que j'assurais en alternance avec le pasteur d'Albi. Une douzaine de fidèles participaient aussi à une étude biblique, un soir par semaine. Là, j'étais aidée par une hollandaise protestante, et par une anglaise, qui s'est avérée "scientiste".

La période que j'ai passée au camp fut marquée par le début des libérations, d'abord individuelles, de certaines internées. La première, le 31 juillet, fut une "politique étrangère", internée depuis 4 ans. Puis ce fut ma fidèle hollandaise, que son mari eut l'autorisation de venir chercher. Le 8 août, une infirmière du camp partait accompagner jusqu'à la frontière belge deux internées rapatriées, dont l'une était malade. Mi-août, il y eu environ 3 libérations par jour, grâce au zèle d'un secrétaire général intérimaire, que j'ai taquiné en lui disant qu'il allait vider le camp pendant ses 8 jours d'intérim ! Une femme enceinte de six mois, avec une fille de 3 ans, a pu rentrer chez elle à Limoges, libérée grâce à une démarche de responsables de la CIMADE. J'ai moi-même entrepris plusieurs demandes de libération.
Je me souviens du cas émouvant d'une lettone remaquable, très aimée de tous, qui était bibliothécaire et présidente de la commission artistique, et qui étouffait à cause de terribles crises d'asthme. Elle était littéralement squelettique et nous avions très peur qu'il ne soit trop tard pour elle. A notre grand soulagement, elle a pu être emmenée à Chambon-sur-Lignon, dans une maison d'accueil de la CIMADE. Une autre jeune femme que j'aimais beaucoup a pu partir, folle de jois, pour une pouponnière à Castres. A propos de ces libérations, des internées m'ont dit : "On n'est jamais jalouses quand une autre est libérée, on est si heureuses pour elle". Du fait de ces divers départs, on a été amené à supprimer certains cours, et la chorale. Le commissaire espérait alors vider la moitié du camp pour la mi-septembre ! Il semblait que resteraient seulement les droits communs et les politiques.

Deux événements particuliers ont marqué la fin de mon séjour à Brens. Le 22 août, on apprenait l'évasion de deux internées, deux "politiques" dont l'une donnait des cours de géographie économique. On ne savait pas comment elles avaient pùu réussir à s'échapper. C'est lors de l'Exposition d'Albi, en 2000, que j'ai appris qu'elles s'étaient laissées glisser dans le Tarn le long d'un ravin de plus de 30 mètres. Le mirador de surveillance que l'on peut encore voir regardait plutôt vers l'intérieur du camp que vers cette bordure surplombant le fleuve ! Et le 26 août, ce fut le départ massif de 50 femmes pour un centre du Service Social des étrangers à Douadic. La veille, c'était la panique, car elles s'imaginaient toutes que c'était un guet-apens, évoquant les événements dramatiques de l'été précédent. J'ai passé la journée à les tranquiliser en leur expliquant le fonctionnement de cet organisme qui tentait d'améliorer le sort des étrangers si menacés sous Vichy.

Cette courte expérience m'a fortement marquée, et 60 ans plus tard, j'en parle encore souvent et j'ai été très heureuse de la création de l'Association qui veille à sauvegarder le souvenir de ces internées.

 

 

le 18 Mai 2004


Madame, Monsieur,

Pour des raisons matérielles et financières, le colloque historique sur les camps de Brens et de Rieucros est remplacé par une manifestation plus modeste, mais qui servira de préparation à un prochain colloque en l’orientant sur la problématique de la Mémoire.


Samedi 19 Juin 2004, au Foyer Rural, Place de la Mairie, à Brens.

A partir de 14 h 30, aura lieu une réunion de travail de différentes associations de camps d’internement du Sud visant à perpétuer la mémoire des camps.( avec la participation de l’historien Gilbert Badia)

A 20 h 45, conférence-débat de Gilbert Badia, sur le thème: “Les camps et les résistances des Allemands antinazis en France”.

L’Association se trouve à un moment charnière de son histoire. Votre participation est donc très importante et sera un soutien pour explorer de nouvelles perspectives.

Nous vous proposons également, à 19 h, un buffet, pour un montant de 10€ par personne. Si vous désirez participer à ce repas, nous vous demandons de bien vouloir compléter le coupon ci-dessous, établir un chèque de 10€ par personne à l’ordre de l’Association: Camp de Brens, et soit l’adresser à la trésorière de l’Association (Mme AUDOYE Jeannine, 54 Avenue Rhin et Danube, 81600 GAILLAC), soit le déposer auprès de notre trésorière adjointe et responsable de “Tourisme Animations du pays Gaillacois (Mme LAFON Françoise, au TAG, Rue de la Contrescape Henri IV, à Gaillac).

En espérant vivement votre présence, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos sentiments les plus cordiaux.

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Coupon à retourner Journée du 19 Juin 2004.

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